Le barème d’indemnités aux prud’hommes est-il mort-né ?
Au moins trois conseils de prud’hommes ont retoqué l’un des dispositifs phares des ordonnances de 2017 censé diminuer la peur de l’embauche.
Une des mesures phares de la réforme du Code du travail va-t-elle finalement être enterrée ? La question est posée alors qu’au moins trois conseils de prud’hommes ont retoqué, ces dernières semaines, le barème d’indemnités en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse pourtant imposé par les ordonnances Macron. La mesure était pourtant censée faire reculer la peur de l’embauche si souvent évoquée par les patrons de PME et les inciter à recruter en CDI plutôt qu’en CDD ou pas du tout.
En décembre, les prud’hommes de Troyes, d’Amiens puis de Lyon ont successivement jugé ce barème contraire aux engagements internationaux de la France. Une majorité des conseillers, représentants des syndicats et du patronat, ont à chaque fois considéré que ce barème, qui encadre l’indemnité versée au salarié, violait l’article 10 de la convention 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) et/ou la Charte européenne des droits sociaux. Cette dernière prévoit notamment que « les Parties s’engagent à reconnaître […] le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée […] en vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement ».
Des faiblesses juridiques
Pour l’instant, il ne s’agit que de trois avis isolés. Juridiquement, ils sont d’ailleurs fragiles, considère François Pinatel. « La référence à l’article 10 de l’OIT me paraît spécieux dans la mesure où il ne dit rien sur l’indemnisation du licenciement », explique cet avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Une décision de 2016 du Comité européen des droits sociaux (qui n’est pas une juridiction) concernant la compatibilité du barème finlandais avec la Charte européenne des droits sociaux pose en revanche plus de questions. Mais selon l’avocat, ce cas est différent du cas français, car le barème finlandais ne prévoit notamment pas d’exception à la règle en cas de licenciement qui encourt la nullité (violation d’une liberté fondamentale, harcèlement moral ou sexuel) comme c’est le cas en France.
François Pinatel rappelle par ailleurs que deux validations du barème ont déjà eu lieu en France. L’une par le Conseil constitutionnel sur la base de la Constitution française. L’autre via le Conseil d’État, dans une décision du 7 décembre 2017 rendue dans le cadre d’un référé suspension demandé par la CGT. « Il a estimé que les moyens invoqués, à savoir la violation de la convention de l’OIT et de la Charte sociale européenne, n’étaient pas de nature à faire douter de la légalité du barème, ce qui est très fort dans le langage du Conseil d’État. S’ils avaient eu le moindre doute quant à la légalité du dispositif, ils auraient suspendu, dans l’attente que le Conseil d’État se prononce au fond », détaille François Pinatel.
« Il y a certainement un effet Gilets jaunes, une volonté politique. On se doutait que certains prud’hommes n’appliqueraient pas la barémisation, car certains conseillers n’apprécient pas qu’on leur ait ôté leurs pouvoirs discrétionnaires », considère Amélie d’Heilly, avocate d’Avosial, un réseau d’avocats d’employeurs favorable au barème. Pour elle non plus, le barème n’enfreint pas les engagements internationaux de la France.
La Cour de cassation, dernier arbitre
L’affaire ne devrait pas en rester là. « Il n’y a que la Cour de cassation qui peut dire désormais ce qu’il en est, en uniformisant cette jurisprudence. Sa décision s’appliquera alors à tous les tribunaux et aux chambres d’appel. Si cela suit son cours normal, cela prendre deux ans », ajoute cette spécialiste.
En attendant, les conséquences sont désastreuses en termes d’image pour la France, déjà abîmée par le mouvement des Gilets jaunes. « Des clients, surtout étrangers, commencent à nous interroger et nous peinons à leur répondre. La situation est pire que celle antérieure. Il y a aussi des conséquences immédiates sur les tractations en cours dans les entreprises, entre les employeurs et les salariés dont ils veulent se séparer. Les avocats des salariés disent que les entreprises ne peuvent plus prendre la barémisation aux prud’hommes comme base de négociation car elle ne serait pas valable », témoigne Amélie d’Heilly.
Selon elle, la situation pourrait toutefois être clarifiée rapidement. « Il est possible aussi qu’une partie demande un avis à la Cour de cassation, par exemple le Medef, aurait le droit de le faire. » Dans ce cas, la Cour rendrait son avis dans un délai de trois mois. Il faudrait pour cela qu’une entreprise concernée par un jugement tout en étant membre d’une organisation patronale demande l’avis, selon l’avocate. Les conseillers prud’hommaux patronaux pourraient aussi faire une demande d’avis, mais une majorité du Conseil de prud’hommes serait alors requise, ce qui supposerait l’aval d’un représentant de salarié. Contactée, le Medef souligne qu’il ne peut donc agir seul et qu’il n’y a pour l’instant eu que 3 jugements retoquant le barème.
Un barème existe pratiquement partout
La plus haute juridiction de l’ordre judiciaire peut-elle invalider le barème ? Cette situation s’était déjà produite une fois avec les ordonnances de Dominique de Villepin qui avaient institué le contrat nouvelles embauches, rappelle François Pinatel. La compatibilité de la mesure avec la convention de l’OIT avait été invoquée, malgré sa validation par le Conseil d’État. La Cour de cassation avait fini par l’invalider en 2008. « Il y a une différence fondamentale, prévient toutefois l’avocat. À l’époque, il y avait une unanimité des juristes et dans la classe politique pour considérer que licencier sans motif posait problème. Là, c’est beaucoup plus délicat. Cela reviendrait à défaire ce que le législateur a fait, ce qui érigerait de fait le magistrat en juge d’une loi validée par le Conseil constitutionnel et alors que c’était un engagement de campagne du candidat. Je ne suis pas sûr que la Cour de cassation ait envie de s’instituer juge-législateur. »
Reste que saisir la Cour de cassation dans le contexte actuel ne serait pas sans risque pour le barème, souligne François Pinatel. « Les premières décisions sur la question du barème sont tombées au mois de septembre. Elles confirmaient toutes la validité du barème. Dans le contexte du mouvement des Gilets jaunes, de la défiance du gouvernement, cette question prend visiblement une autre tournure. Je ne suis pas sûr que la demande d’avis soit opportune. Il faut peut-être attendre que la vague passe. Les magistrats de la Cour de cassation, comme tout le monde, vivent dans la société. Ce qui ne choquait pas au mois d’août choque au mois de janvier. »
Cette affaire illustre en tout cas la difficulté à réformer en France. « La totalité quasiment des États occidentaux à économie de marché adhérents à la convention 158 de l’OIT ont un barème bien souvent, pour ne pas dire tout le temps, bien plus rigoureux que le nôtre. Cela veut dire que si notre barème est contraire à la convention 158 de l’OIT, cette convention explose ! » Et l’avocat de rappeler que le barème ne fait que reprendre la moyenne d’indemnisations accordée aux prud’hommes avant le vote des ordonnances. « Il se contente de retranscrire la pratique et d’éviter les indemnisations farfelues qui pouvaient parfois être accordées. »
Une des mesures phares de la réforme du Code du travail va-t-elle finalement être enterrée ? La question est posée alors qu’au moins trois conseils de prud’hommes ont retoqué, ces dernières semaines, le barème d’indemnités en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse pourtant imposé par les ordonnances Macron. La mesure était pourtant censée faire reculer la peur de l’embauche si souvent évoquée par les patrons de PME et les inciter à recruter en CDI plutôt qu’en CDD ou pas du tout.
En décembre, les prud’hommes de Troyes, d’Amiens puis de Lyon ont successivement jugé ce barème contraire aux engagements internationaux de la France. Une majorité des conseillers, représentants des syndicats et du patronat, ont à chaque fois considéré que ce barème, qui encadre l’indemnité versée au salarié, violait l’article 10 de la convention 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) et/ou la Charte européenne des droits sociaux. Cette dernière prévoit notamment que « les Parties s’engagent à reconnaître […] le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée […] en vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement ».
Des faiblesses juridiques
Pour l’instant, il ne s’agit que de trois avis isolés. Juridiquement, ils sont d’ailleurs fragiles, considère François Pinatel. « La référence à l’article 10 de l’OIT me paraît spécieux dans la mesure où il ne dit rien sur l’indemnisation du licenciement », explique cet avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Une décision de 2016 du Comité européen des droits sociaux (qui n’est pas une juridiction) concernant la compatibilité du barème finlandais avec la Charte européenne des droits sociaux pose en revanche plus de questions. Mais selon l’avocat, ce cas est différent du cas français, car le barème finlandais ne prévoit notamment pas d’exception à la règle en cas de licenciement qui encourt la nullité (violation d’une liberté fondamentale, harcèlement moral ou sexuel) comme c’est le cas en France.
François Pinatel rappelle par ailleurs que deux validations du barème ont déjà eu lieu en France. L’une par le Conseil constitutionnel sur la base de la Constitution française. L’autre via le Conseil d’État, dans une décision du 7 décembre 2017 rendue dans le cadre d’un référé suspension demandé par la CGT. « Il a estimé que les moyens invoqués, à savoir la violation de la convention de l’OIT et de la Charte sociale européenne, n’étaient pas de nature à faire douter de la légalité du barème, ce qui est très fort dans le langage du Conseil d’État. S’ils avaient eu le moindre doute quant à la légalité du dispositif, ils auraient suspendu, dans l’attente que le Conseil d’État se prononce au fond », détaille François Pinatel.
« Il y a certainement un effet Gilets jaunes, une volonté politique. On se doutait que certains prud’hommes n’appliqueraient pas la barémisation, car certains conseillers n’apprécient pas qu’on leur ait ôté leurs pouvoirs discrétionnaires », considère Amélie d’Heilly, avocate d’Avosial, un réseau d’avocats d’employeurs favorable au barème. Pour elle non plus, le barème n’enfreint pas les engagements internationaux de la France.
La Cour de cassation, dernier arbitre
L’affaire ne devrait pas en rester là. « Il n’y a que la Cour de cassation qui peut dire désormais ce qu’il en est, en uniformisant cette jurisprudence. Sa décision s’appliquera alors à tous les tribunaux et aux chambres d’appel. Si cela suit son cours normal, cela prendre deux ans », ajoute cette spécialiste.
En attendant, les conséquences sont désastreuses en termes d’image pour la France, déjà abîmée par le mouvement des Gilets jaunes. « Des clients, surtout étrangers, commencent à nous interroger et nous peinons à leur répondre. La situation est pire que celle antérieure. Il y a aussi des conséquences immédiates sur les tractations en cours dans les entreprises, entre les employeurs et les salariés dont ils veulent se séparer. Les avocats des salariés disent que les entreprises ne peuvent plus prendre la barémisation aux prud’hommes comme base de négociation car elle ne serait pas valable », témoigne Amélie d’Heilly.
Selon elle, la situation pourrait toutefois être clarifiée rapidement. « Il est possible aussi qu’une partie demande un avis à la Cour de cassation, par exemple le Medef, aurait le droit de le faire. » Dans ce cas, la Cour rendrait son avis dans un délai de trois mois. Il faudrait pour cela qu’une entreprise concernée par un jugement tout en étant membre d’une organisation patronale demande l’avis, selon l’avocate. Les conseillers prud’hommaux patronaux pourraient aussi faire une demande d’avis, mais une majorité du Conseil de prud’hommes serait alors requise, ce qui supposerait l’aval d’un représentant de salarié. Contactée, le Medef souligne qu’il ne peut donc agir seul et qu’il n’y a pour l’instant eu que 3 jugements retoquant le barème.
Un barème existe pratiquement partout
La plus haute juridiction de l’ordre judiciaire peut-elle invalider le barème ? Cette situation s’était déjà produite une fois avec les ordonnances de Dominique de Villepin qui avaient institué le contrat nouvelles embauches, rappelle François Pinatel. La compatibilité de la mesure avec la convention de l’OIT avait été invoquée, malgré sa validation par le Conseil d’État. La Cour de cassation avait fini par l’invalider en 2008. « Il y a une différence fondamentale, prévient toutefois l’avocat. À l’époque, il y avait une unanimité des juristes et dans la classe politique pour considérer que licencier sans motif posait problème. Là, c’est beaucoup plus délicat. Cela reviendrait à défaire ce que le législateur a fait, ce qui érigerait de fait le magistrat en juge d’une loi validée par le Conseil constitutionnel et alors que c’était un engagement de campagne du candidat. Je ne suis pas sûr que la Cour de cassation ait envie de s’instituer juge-législateur. »
Reste que saisir la Cour de cassation dans le contexte actuel ne serait pas sans risque pour le barème, souligne François Pinatel. « Les premières décisions sur la question du barème sont tombées au mois de septembre. Elles confirmaient toutes la validité du barème. Dans le contexte du mouvement des Gilets jaunes, de la défiance du gouvernement, cette question prend visiblement une autre tournure. Je ne suis pas sûr que la demande d’avis soit opportune. Il faut peut-être attendre que la vague passe. Les magistrats de la Cour de cassation, comme tout le monde, vivent dans la société. Ce qui ne choquait pas au mois d’août choque au mois de janvier. »
Cette affaire illustre en tout cas la difficulté à réformer en France. « La totalité quasiment des États occidentaux à économie de marché adhérents à la convention 158 de l’OIT ont un barème bien souvent, pour ne pas dire tout le temps, bien plus rigoureux que le nôtre. Cela veut dire que si notre barème est contraire à la convention 158 de l’OIT, cette convention explose ! » Et l’avocat de rappeler que le barème ne fait que reprendre la moyenne d’indemnisations accordée aux prud’hommes avant le vote des ordonnances. « Il se contente de retranscrire la pratique et d’éviter les indemnisations farfelues qui pouvaient parfois être accordées. »
Source : LePoint.fr