Voici un arrêt de la Cour de cassation qui fera date puisqu’il formalise dans le marbre juridique et pour la toute première fois, la notion de “harcèlement moral institutionnel”.

Le 21 janvier dernier, la Cour de cassation, statuant sur le dossier France Telecom, confirmait enfin le harcèlement moral vécu par nombre de salariés de ce géant des télécoms. Cet arrêt apparait particulièrement novateur en ce qu’il qualifie d’institutionnel un harcèlement ne résultant plus nécessairement d’une relation entre un supérieur hiérarchique et un ou plusieurs salariés, mais procédant des conséquences de la mise en œuvre d’une politique d’entreprise décidée au plus haut niveau, concernant une collectivité et aboutissant à dégrader les conditions de travail.

On se souvient évidemment d’un certain Monsieur Lombard et de la vague de suicides imputés à ses réorganisations profondes du groupe, mais, au-delà de l’homme, c’est en réalité tout un système pathogène qui s’était mis en place pour broyer les salariés de l’entreprise au prétexte de restructurations destinées à rénover le groupe et à l’adapter aux enjeux du marché des télécoms. Les salariés France Telecom avaient alors payé un lourd tribut à la sacro-sainte productivité… Il fanfaronnait même publiquement, au cours d’une convention de l’association des cadres supérieurs du groupe « Je ferai les départ par la fenêtre ou par la porte ». On connait la suite et beaucoup trop nombreux furent les salariés qui quittèrent effectivement le groupe par la fenêtre.

L’arrêt de cassation énonce ainsi pour principe que « constituent des agissements entrant dans les prévisions de l’article 222-33-2 du Code pénal, dans sa version résultant de la loi ri° 2002-73 du 17 janvier 2002, et pouvant caractériser une situation de harcèlement moral institutionnel, les agissements visant à arrêter et mettre en œuvre, en connaissance de cause, une politique d’entreprise qui a pour objet de dégrader les conditions de travail de tout ou partie des salariés aux fins de parvenir à une réduction des effectifs ou d’atteindre tout autre objectif, qu’il soit managérial, économique ou financier, ou qui a pour effet une telle dégradation, susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité de ces salariés, d’altérer leur santé physique ou mentale ou de compromettre leur avenir professionnel ». Inimitable prose des juristes, c’est à chaque fois un émerveillement.

La juridiction reconnait donc et établit que les dirigeants d’entreprise peuvent se voir reprocher au pénal des faits de harcèlement moral, même en l’absence de comportement répréhensible à l’égard de tel ou tel salarié mais à la suite de la mise en œuvre d’une politique d’entreprise et d’une stratégie de gestion de l’ensemble du personnel.

En reconnaissant la possible responsabilité pénale de la société, mais aussi maintenant du PDG et des dirigeants pour harcèlement moral, la Cour de cassation crée un précédent et envoie un avertissement clair aux chefs d’entreprise et cadres supérieurs dont beaucoup rechigneront désormais, par prudence et crainte d’une sanction pénale, à agir et décider. Ce sera sans doute l’un des effets pervers de cette avancée juridique globalement positive.

Un dirigeant averti en vaut au moins deux et, qu’on se le dise, on ne peut faire n’importe quoi, ni restructurer n’importe comment. Un plan social bien bordé et généreusement doté vaut certainement mieux qu’un ensemble de manigances pernicieuses destinées à réduire les effectifs à moindre coût lorsque l’on sait qu’au final ce sont les salariés qui paieront le prix fort.

4 Commentaires

  1. et bien j’espère que nos hauts cadres dirigeants vont prendre connaissance de cet article ou plus sérieusement , auront des bons juristes qui leur feront part de cet arrêt cour de cassation!
    c’est une vraie révolution juridique !
    de cette façon nous éviterons peut être la casse volontaire , puisque il n’y aura probablement pas d’argent mis sur la table pour des départs sous PSE ..

    • J’y vois un message subliminal à la direction… Gageons qu elle intègre à ses réflexions sa gestion de ses CDI intérimaires…

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici