Voici venu le moment où un gouvernement légitimement désigné par un président légitimement élu va légitimement appliquer son programme sur la législation du travail. Aucune surprise, donc.
Il n’y est pas fait allusion dans le programme de travail remis aux partenaires sociaux le 6 juin. Et pourtant, si l’on en croit le document dévoilé par Libération dès le lendemain et nos propres informations, la Direction générale du travail en appui des « réformes demandées par le cabinet », planche sur une énième modification du motif économique et des plans de sauvegarde de l’emploi qui devraient figurer en bonne place dans les ordonnances prévues d’ici la fin de l’été. Sur le plan des idées, rien de nouveau mais la volonté de parachever l’édifice mis en place par la loi Travail du 8 août 2016, portée par la ministre Myriam El Khomri.
Ordonnances explosives
Le gouvernement revient à la charge sur le périmètre d’appréciation des difficultés économiques
C’est un élément crucial qui permet de savoir si la restructuration envisagée et le cortège de licenciements qui peut l’accompagner, sont bien justifiés. Dans une première version du projet de loi El Khomri, il était ainsi prévu que cette évaluation des difficultés soit limitée à l’échelle nationale, y compris lorsque l’entreprise appartient à un groupe mondial. Le gouvernement revient à la charge dans la future ordonnance. La jurisprudence de la Cour de cassation qui tenait compte de la mondialisation et obligeait la société mère à venir au secours de sa filiale en difficulté est clairement dans le viseur.
Selon nos informations, le ministère du Travail juge que le périmètre d’appréciation des difficultés économiques actuel – qui s’étend donc à l’international – n’empêche en rien les groupes mondiaux de restructurer leurs filiales françaises. Ils en font régulièrement la démonstration et l’arsenal juridique français est déjà suffisamment souple pour permettre ce type de réorganisation. Pour autant, la limitation du périmètre aux seules frontières hexagonales aurait un « impact symbolique » auprès des investisseurs étrangers, considère l’administration du travail.
Primauté de l’accord sur le contrat de travail
Aujourd’hui, un salarié doit signer un avenant à son contrat de travail pour accepter ou non les nouvelles modalités d’un accord (hausse du temps de travail, gel des salaires…). S’il refuse, il est licencié individuellement pour motif économique. Demain, la primauté de l’accord sur le contrat de travail (plus d’avenant à signer) serait un nouveau signal fort envoyé aux entreprises pour sécuriser les procédures. Pour autant, ces mesures qui fragilisent considérablement les salariés pourraient être contestées sur le terrain de la convention 158 de l’OIT qui s’impose à notre code du travail.
Autre élément potentiellement explosif des ordonnances qui n’est pas encore tranché entre la rue de Grenelle et Matignon : le seuil de déclenchement des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE). Il pourrait être revu à la hausse (il est actuellement de 10 salariés dans une entreprise de plus de 50 salariés sur une période de 30 jours).
La hausse du seuil de déclenchement des plans sociaux pourrait faire disparaître 35 % des PSE
Ce seuil pourrait passer à 30 salariés, ce qui de facto ferait disparaître 35 % des PSE. Selon les calculs du ministère du Travail, cela ne représenterait que 9 % du total des suppressions d’emploi liées à des PSE en France. Ces plans sociaux ne sont pourtant plus guère nombreux. En septembre 2016, 566 nouveaux PSE avaient été initiés, contre 765 en 2015 et 952 en 2011. D’année en année, leur nombre n’a cessé de baisser.
Reclassements allégés
Un chapitre des ordonnances pourrait également concerner la définition des catégories professionnelles
Selon le document de la Direction générale du travail, l’employeur pourrait se contenter d’indiquer aux salariés menacés de licenciement les postes disponibles au titre du reclassement sur l’intranet de l’entreprise, à charge pour eux de se positionner. Une directive contraire à la jurisprudence qui exige au contraire que l’employeur adresse des offres de reclassements individualisées et écrites.
Toujours selon nos informations, un chapitre des ordonnances pourrait également concerner la définition des catégories professionnelles (ouvriers, employés, cadres). La question semble a priori technique et accessoire mais les conseils d’entreprise savent qu’une mauvaise définition de ces catégories peut faire capoter un plan de sauvegarde de l’emploi. Le Conseil d’Etat l’a jugé dans une affaire Fnac. Plusieurs affaires sont en cours devant le Conseil d’Etat et le ministère du travail ne désespère pas que la plus haute juridiction administrative fasse évoluer sa jurisprudence, ce qu’elle a plus ou moins annoncé…
En cas de plan social, le contrôle de l’administration du travail (la Direccte) ne pourrait s’exercer
Afin de sécuriser ces procédures pour les employeurs, plusieurs hypothèses sont à l’étude. Les entreprises pourraient être incitées à négocier dans leurs accords sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC)1 une définition de ces catégories professionnelles, bien en amont d’un PSE. En cas de plan social, le contrôle de l’administration du travail (la Direccte) ne pourrait s’exercer. Ce motif d’annulation des PSE très en vogue aujourd’hui ne pourrait plus prospérer. Et à terme, cela devrait inciter les entreprises de toutes tailles à se pencher sérieusement sur leurs catégories professionnelles.
Enfin, les critères qui permettent d’établir un ordre des licenciements (âge, ancienneté, situation familiale et notamment les qualités professionnelles) sont eux aussi examinés. Toujours selon nos informations, le périmètre choisi pour appliquer cet ordre des licenciements pourrait être restreint à des établissements et non pas à l’ensemble de l’entreprise.
Cela pour éviter que les employeurs subissent la déconvenue de l’entreprise Mory Ducros. Le tribunal administratif avait annulé la décision d’homologation du plus gros plan social de 2014 (2 800 licenciements). En ciblant uniquement ses 85 agences, le transporteur avait ainsi « fléché » les postes à supprimer. La loi Macron de 2015 a rectifié le tir2. Les ordonnances pourraient franchir un cap supplémentaire pour border la procédure.
La loi Travail déjà à l’œuvre
Il s’agit donc toujours de sécuriser, d’être prévisible, un refrain entendu à chaque réforme en droit du travail
Le motif économique a toujours revêtu un enjeu majeur pour le Politique qui entend bien ne laisser à personne le soin de caractériser les raisons admissibles de licencier un ou plusieurs salariés pour motif économique. Depuis la loi du 2 août 1989, date à laquelle le motif économique est défini pour la première fois dans le Code du travail, la définition est à tiroirs et comporte trois éléments. Un élément de qualification : le motif économique est celui qui n’est pas inhérent à la personne du salarié ; un élément matériel qui vise les conséquences sur l’emploi de la situation économique forcément délicate, soit « une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification refusée par le salarié » ; un élément causal qui renvoient « notamment aux difficultés économiques ou à des mutations technologiques, la réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité, la cessation d’activité de l’entreprise ».
Si la structure de la définition est invariable, son contenu est soumis aux variations politiques. Au fil du temps et en fonction des gouvernements, la définition a oscillé entre plus de flexibilité ou plus de protection. Mais en toute hypothèse, la marge de manœuvre du législateur n’est pas totale et c’est encore le cas aujourd’hui. La définition doit respecter les exigences du droit de l’Union européenne, précisément celle de la Directive du 20 juillet 1998 : le licenciement doit être non inhérent à la personne du salarié, premier élément intangible de la définition. La Directive prévoit également des garanties minimales d’information et de consultation en fixant des seuils de licenciement collectif au-delà desquels ces obligations s’appliquent. De son côté, le Conseil constitutionnel veille et a déjà censuré une définition, jugée trop restrictive du licenciement pour motif économique. C’était il y a quinze ans, lorsque le gouvernement de Lionel Jospin dans le cadre de la loi de modernisation sociale avait limité drastiquement les situations économiques permettant de licencier. Le Conseil constitutionnel avait considéré qu’il y avait là atteinte à la liberté d’entreprendre (Conseil constitutionnel, 12 janvier 2002, n° 2001-455) et avait censuré la définition, contraignant le gouvernement teinté de gauche plurielle à revoir sa copie et à forger une nouvelle définition nécessairement moins restrictive. C’est dans cet interstice que le législateur doit se frayer une voie. L’exercice est tout aussi politique que juridique.
Défiance à l’égard du juge
La Cour de cassation a innové sur le motif économique, mais plutôt dans le sens de la flexibilité
Avant l’heure, la Cour de cassation conseillait aux entreprises de faire de la gestion prévisionnelle… Six ans plus tard, la même Cour de cassation comblait un vide laissé par le législateur lorsqu’un employeur cesse son activité (faute de renouvellement de bail, pour cause de retraite…). La cessation d’activité se voyait érigée en nouveau motif de licenciement dans un arrêt Royal Printemps. Difficile de considérer que ces prises de position sont trop protectrices des intérêts des salariés. On relèvera à cet égard que la loi Travail du 8 août 2016 a intégré ces deux motifs dans le Code du travail, saluant ainsi le travail du juge.
La jurisprudence a été tout aussi créative concernant les plans de sauvegarde de l’emploi. Les employeurs le savent : un PSE inconsistant au regard des moyens dont dispose le groupe florissant auquel appartient l’entreprise ou encore un PSE insuffisant sur le volet du reclassement sera immanquablement annulé par le juge. Reste que la critique a pris corps et s’est particulièrement cristallisée sur la jurisprudence relative aux PSE.
L’employeur maître chez lui
Les magistrats ont été jugés incompétents en matière d’économie. Bref, de quoi se mêlent-ils ?
En décembre 2012, l’institut Montaigne publiait une note signée des économistes Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo qui dénonçaient l’aversion des magistrats pour l’économie de marché et leur manque de formation en économie. L’étude conjuguée à d’autres voix patronales concordantes a fait grand bruit. À tel point que quelques mois plus tard, la loi Sapin du 14 juin 2013 relative « à la sécurisation de l’emploi » dessaisissait le juge judiciaire, condamné à ne plus s’occuper des plans sociaux au profit du juge administratif jugé plus sûr et plus conciliant. Seul le motif économique restera dans le giron du juge judiciaire.
C’est toujours cette même critique qui est sous-jacente dans la loi Travail. Avec ce système de listes, la volonté n’est-elle pas de ne laisser aucune marge d’appréciation au juge judiciaire ? Mais l’objectivation des difficultés économiques ne saurait faire abdiquer le juge.
Le « droit au juge » est protégé par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme qu’un plaideur n’hésitera pas à mobiliser au cas où. Au reste, la définition de la loi Travail exige « des difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique… ». L’adjectif « significatif » renvoie nécessairement à une appréciation du juge. Il n’est pas si facile de s’en débarrasser. Jusqu’où iront les futures ordonnances pour « libérer » les entreprises de ces contraintes de droit ?
- 1. Tous les trois ans, les entreprises de 300 salariés et plus sont tenues de négocier un accord sur la GPEC.
-
2.
L’accord collectif ou le document unilatéral peuvent fixer le périmètre
d’application des critères d’ordre. Mais dans le cas du document
unilatéral, le « périmètre ne peut être inférieur à celui de chaque zone
d’emploi dans laquelle sont situés un ou plusieurs établissements de
l’entreprise concernés par les suppressions d’emploi ».Source : Alternatives économiques
Cet article est très long à lire, trop long mais pourtant très clair et il convient de s'y poser un instant.
On retiendra la simplification pour se séparer de collaborateurs mais surtout cette variante du motif économique qui ouvre une porte à toutes les magouilles possibles!
Ce qu'il faut malheureusement retenir, c'est que si votre employeur se plante dans sa stratégie ou ne met pas les bons moyens pour le développement, moralité, c'est les salariés opérationnels qui trinquent! Les grands groupes qui pourtant déjà habiles de stratégies pour se séparer de salariés auront encore plus de facilités.
Il va vraiment falloir se mobilier, peut-être pas pour tout changer car il faut que notre pays évolue, mais pour ne pas laisser faire la facilité et tomber dans une forme d'esclavagisme des temps modernes.