Quatre arrêts de la Cour de cassation encadrent les conditions de mise en œuvre de la clause de mobilité. Laquelle ne doit pas porter atteinte à l’équilibre de la vie privée du salarié. Eclairage avec Marie-France Mazars, conseiller doyen à la chambre sociale de la Cour de cassation.
  • Un des arrêts du 14 octobre exige que la rédaction de la clause de mobilité soit claire et précise.

Marie-France Mazars : Cet arrêt n’est pas très novateur. Il rappelle seulement que la rédaction de la clause ne peut pas permettre à l’employeur d’étendre à son gré la zone géographique. En l’espèce, la clause autorisait l’employeur à muter le salarié sur toute la zone d’activité de la Communauté d’Emmaüs, y compris chaque fois qu’une association était implantée dans un nouveau lieu. C’est évidemment impossible. Un employeur ne peut être laissé maître de la modification d’une clause contractuelle et l’étendue de la clause ne peut être ainsi indéterminée. La solution n’est qu’une stricte application du droit civil.

  • Pourriez-vous juger qu’une clause rédigée d’une manière imprécise est nulle ?

M.-F. M. : Bien entendu. Une telle clause est d’ailleurs inapplicable. Si les données sont indéfinies, la zone géographique est indéterminée. Par conséquent, la clause est nulle.

  • Vous présumez que l’employeur met loyalement en œuvre la clause de mobilité, à charge pour le salarié d’apporter la preuve contraire.

M.-F. M. : Nous le jugeons depuis 2005. Avant cette date, pour contester la mise en œuvre d’une clause de mobilité, le salarié devait démontrer un détournement de pouvoir. L’intéressé avait donc déjà la charge de la preuve. En 2005, la formulation a changé. La Cour de cassation a fixé des règles en se repositionnant sur l’exécution de bonne foi du contrat de travail visé à l’article L. 120-4 du Code du travail (devenu. L.1222-1).

  • Cette preuve n’est-elle pas difficile à rapporter pour le salarié ?

M.-F. M. : Nous présumons que lorsque l’employeur exerce son pouvoir de direction en modifiant le lieu de travail, il le fait dans l’intérêt de l’entreprise. Le salarié est d’ailleurs lié par cette clause puisqu’il l’a acceptée. S’il refuse la mobilité, ce qui s’analyse en principe en une violation de ses obligations contractuelles, il peut se « dédouaner » en quelque sorte en démontrant la mauvaise foi de l’employeur. Dans l’affaire jugée le 14 octobre, la cour d’appel a parfaitement démontré que la clause de mobilité a été mise en œuvre abusivement. La salariée avait informé son employeur cinq mois auparavant de sa reprise d’activité, au retour de son congé parental. Elle était informée trois semaines avant son retour de son affectation à 100 kms de son domicile. La motivation de la cour d’appel de Chambéry relève que l’employeur s’était assuré de son refus, ne la mettant pas en mesure de prendre le poste dans le délai fixé. La preuve n’est donc pas impossible pour le salarié, loin de là.

  • Dans un autre arrêt, vous visez pour la première fois l’ex-article L. 120-2 s’agissant de la mise en œuvre de la clause qui doit désormais être justifiée par la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché.

M.-F. M. : Dans cette affaire, tous les éléments nous permettaient de viser l’article L. 120-2 (devenu L. 1121-1). La clause a été, là encore, mise en œuvre alors que la salariée basée à Marseille, revenait de congé parental, avec un enfant en bas âge et allait être contrainte de vivre à Paris quatre jours par semaine. L’atteinte au droit à une vie personnelle et familiale est certaine. L’article L. 120-2 autorise les atteintes aux libertés individuelles mais celles-ci doivent être justifiées et proportionnées au sens de ce texte. Était-ce le cas dans l’affaire ? Il faut trouver un équilibre entre l’atteinte à la vie privée et la tâche à accomplir.

  • L’application de l’article L. 120- 2 vaut pour la mise en œuvre de la clause et non sa validité…

M.-F. M. : Dans cette affaire, la question de la validité n’était pas posée. En principe, le contrat de travail est à durée indéterminée. Il peut s’étaler sur plusieurs années. Entre la signature de son contrat et la mise en œuvre de la clause, la situation personnelle et professionnelle des salariés évolue. Ils se marient, ont des enfants, bénéficient de promotions… La clause de mobilité peut à un moment T ne pas poser de problème par rapport à la vie privée, mais à d’autres moments, elle peut s’avérer problématique. Je crois qu’il est plus pertinent de se placer sur le terrain de la mise en œuvre de la clause que sur celui de sa validité.

  • Est-il possible néanmoins de contester la clause de mobilité sur le terrain de sa validité en se basant sur l’ancien article L. 120-2, à l’instar de ce que vous jugez pour la clause de non-concurrence ou la clause d’exclusivité ?

M.-F. M. : Oui, nous l’avons déjà fait à propos d’une clause qui obligeait un avocat à changer de résidence. La clause a été frappée de nullité. Nous passons bien entendu la clause de mobilité au crible de l’ancien article L. 120-2. Nous traitons de la même façon toutes les clauses contractuelles, clause de non-concurrence, clause d’exclusivité ou encore clause de mobilité.

  • Dans une autre affaire, vous avez jugé que la clause de mobilité ne devait pas induire des modifications de contrat. La mobilité ne peut entraîner sans l’accord du salarié le passage d’un horaire de nuit à un horaire de jour.

M.-F. M. : Dans cette affaire, nous aurions pu annuler la clause de mobilité. La chambre a pourtant choisi de se placer sur le terrain de la modification du contrat induite par la mise en œuvre de la clause de mobilité. Ce faisant, nous n’avons fait que reprendre notre jurisprudence relative aux clauses de mobilité ayant pour effet de modifier la rémunération des intéressés (Cass. soc., 15 déc. 2004, n° 02-44.714 ; 3 mai 2006, n° 04-46.141). En réalité, nous n’annulons pas la clause de mobilité, nous la neutralisons en quelque sorte lorsque sa mise en œuvre induit des modifications de contrat. La clause de mobilité dont l’objectif est de changer le lieu de travail ne peut, en aucun cas, permettre de toucher au socle contractuel (qualification, rémunération, durée du travail). Dans une telle hypothèse, l’employeur doit obtenir l’accord du salarié.

  • L’employeur doit donc faire signer un avenant à son salarié…

M.-F. M. : L’employeur ne peut se prévaloir de ce qu’un salarié aurait accepté par avance que la mobilité s’accompagne d’un changement radical de ses horaires, avec la suppression des primes afférentes. Le passage par l’avenant au contrat de travail apparaît dès lors incontournable.

  • Dans cette affaire, la clause de mobilité reprenait une disposition de la convention collective applicable. Peut-elle, elle aussi, être contestée ?

M.-F. M. : Devant la cour d’appel, il n’y a eu aucun débat sur cette question essentielle. Par suite, nous n’avons pas pu nous poser la question de la validité de la clause de la convention collective. Nous avons tout de même précisé dans la motivation de l’arrêt qu’une clause contractuelle ou conventionnelle ne pouvait prévoir une acceptation, par avance, une modification induite par la clause de mobilité.

  • Vous jugez désormais que le refus de la mobilité n’est pas assimilable à une faute grave.

M.-F. M. : Oui. Le refus d’un changement des conditions de travail imposé par l’employeur dans l’intérêt de l’entreprise ne relève pas en principe et de prime abord du domaine disciplinaire.

Propos recueillis par Françoise Champeaux

Semaine Sociale Lamy, 3/11/2008
Source : WK CE

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