Alors, que faire si vous-même ou un collègue de travail êtes aux prises avec le harcèlement ? Vous pourriez avoir tendance à paniquer, banaliser ou dramatiser. Sachez qu’il est possible de récupérer du pouvoir sur la situation et d’agir afin de prévenir le pire car le harcèlement au travail tue… Dans un premier temps, il importe de ne pas vous isoler dans cette situation. Il vous faut rapidement trouver un interlocuteur de confiance, un thérapeute, un médecin à qui vous pourrez parler. Le seul fait de vous confier librement vous aidera à voir plus clair et à vous mieux comprendre.
Dans cet article, je souhaite jeter un éclairage nouveau sur l’ampleur de ce phénomène de plus en plus répandu que constitue le harcèlement psychologique au travail. Même si tout n’est ni noir ni blanc, je propose une définition du harcèlement psychologique au travail. J’aborde les types de harcèlement et les conditions propices au harcèlement. J’amène aussi les circonstances et les motifs qui génèrent des situations de harcèlement au travail. Finalement, je vous invite à explorer des pistes d’action et de solution.
Qu’est-ce que le harcèlement psychologique au travail ?
D’après les nouvelles dispositions de la Loi sur les normes du travail en vigueur depuis juin 2004, « le harcèlement est une conduite vexatoire se manifestant soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité et à l’intégrité psychologique ou physique du salarié qui entraîne pour lui un milieu de travail néfaste. Une seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement psychologique si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour le salarié ». Le harcèlement est un phénomène socialement construit. Il s’agit d’un effet de contexte organisationnel et socio-économique dont les conséquences sont manifestes sur la santé mentale. Le harcèlement est une figure sournoise et insidieuse de la violence humaine. Cette violence est conditionnée par une situation particulière. Cette violence se vit dans l’interaction et est entretenue par un système relationnel et organisationnel malsain.
1. L’intimidation
2. Les brimades (bullying
3. La persécution (mobbing)
4. Le bouc émissaire (whistleblowers)
5. Le bizutage (discrimination)
6. L’incivilité à caractère vexatoire
7. L’abus de pouvoir
8. Le détournement des règles disciplinaires, du pouvoir de direction ou du pouvoir d’organisation
9. La placardisation
L’intimidation est une action violente qui consiste à faire peur à l’autre en haussant le ton, en dépréciant son travail, en le menaçant de manière détournée ou voilée, en exerçant sur l’autre des pressions indues pour parvenir à ses fins.
La brimade ou bullying « est une action tyrannique qui consiste à brutaliser, à rudoyer quelqu’un de plus faible. » (2)
La persécution ou mobbing « est une forme sévère de harcèlement qui consiste à houspiller, attaquer, malmener et se manifeste par des agissements hostiles fréquents et répétés sur le lieu de travail visant systématiquement la même personne. Cela peut aller jusqu’à des dérapages incluant la violence physique ». (3)
Le bouc émissaire ou whistleblowers « est celui qui prend sur lui d’alerter l’opinion publique sur les malversations, de dénoncer les actes de corruptions ou les violations de la loi des grands services publics où il travaille. C’est en ce sens qu’il devient victime de représailles ». (4)
La discrimination ou bizutage consiste « en des attaques répétées et opiniâtres envers une personne qui affiche des différences en raison de ses convictions religieuses, de son orientation sexuelle, de ses origines, de sa nationalité » (5) ou du simple fait d’être une femme.
L’incivilité à caractère vexatoire consiste à utiliser des propos méprisants pour disqualifier une autre personne ou la discréditer auprès des collègues, supérieurs, subordonnés. On utilise envers elle des gestes de mépris (soupirs, regards levés au ciel, haussements d’épaules). On l’interrompt. On tient à son sujet, devant des tiers et devant l’employé, des propos humiliants et abusifs.
L’abus de pouvoir est une forme particulièrement grave de harcèlement qui consiste à s’attaquer directement aux conditions de travail de l’employé en lui retirant son autonomie. On se sert de son pouvoir pour contester systématiquement toutes ses décisions ; pour lui retirer ses moyens et ses outils de travail (budget, téléphone, fax, ordinateur) ; pour lui attribuer des tâches humiliantes ou contre son gré ; pour l’isoler, l’empêcher d’obtenir une promotion ; pour lui attribuer des tâches incompatibles avec sa santé. On ne tient pas compte des avis médicaux concernant la victime. On la pousse à la faute pour la prendre en défaut afin de la congédier (abusivement).
Le détournement des règles disciplinaires, du pouvoir de direction ou du pouvoir d’organisation est une forme de harcèlement particulièrement sévère qui consiste à détourner les règles à son profit personnel, à contourner le pouvoir de direction pour s’adonner à l’exclusion ou au favoritisme ou encore servir ses propres fins au détriment de certains employés, pour obtenir ou détourner des fonds sous de faux prétextes, pour s’approprier des biens, obtenir des privilèges sous de fausses représentations ou en retirer à quelqu’un d’autre.
La placardisation consiste à isoler la victime ; on l’installe à l’écart des autres ; ses supérieurs hiérarchiques et collègues ne lui parlent plus. Elle devient « persona non grata ». On ignore sa présence en s’adressant uniquement aux autres. On interdit à ses collègues de lui parler. On ne la laisse plus parler aux autres. On communique avec elle uniquement par écrit ou par mail. On fait courir sur elle des rumeurs. On lui attribue des problèmes psychologiques ; on dit du salarié que c’est un malade mental, un fauteur de troubles. La direction refuse toute demande d’entretien et toute explication.
Quelles sont les circonstances propices au harcèlement ?
i) Le dysfonctionnement de l’organisation du travail prédispose le milieu au harcèlement. Par exemple, dans plusieurs grandes organisations internationales, aux Etats-Unis, en Europe et au Canada, et plus près de nous ici à Montréal, il est répandu et surtout bien vu de la direction de participer à des réunions à l’heure du lunch ou encore de travailler en surtemps tous les soirs et les week-ends et de le prouver en envoyant et en recevant des consignes ou des demandes d’information, d’approbation par courriel bien avant et bien après les heures normales de travail. Ces pratiques, cautionnées par la hiérarchie, exercent une pression telle qu’il devient risqué voire impossible pour un salarié de ne pas s’y conformer. S’il exprime son désaccord, ses pairs et ses supérieurs, se sentant confrontés, auront tôt fait de le mettre au pas. Ils le manipuleront, remettront en cause tantôt son professionnalisme, tantôt sa loyauté envers l’entreprise. S’il n’entre toujours pas dans le rang, la situation dégénèrera rapidement pour l’individu ; on envahira alors sa vie privée par des coups de téléphones répétés lorsqu’il est en congé. On ne tiendra pas compte des limites qu’il aura osé exprimer. C’est alors que s’ensuivra une série de symptômes et de conséquences néfastes pour la santé du salarié mais aussi pour l’entreprise. On le verra plus loin, c’est en millions de dollars que se chiffrent les coûts de l’absentéisme au travail pour des raisons de santé mentale reliées à des malentendus, des situations conflictuelles engendrés par de mauvaises pratiques de gestion et le dysfonctionnement de l’organisation du travail.
ii) La détérioration des conditions du travail résulte souvent d’un déficit sur le plan de l’éthique et des valeurs. On croit à tort que l’écart entre le discours dominant et les pratiques est sans conséquence. C’est un leurre, les salariés décèlent rapidement le manque d’intégrité chez l’autorité et sa malhonnêteté est loin de passer inaperçue. Les deux ont un effet démobilisateur qui détériore les conditions de travail et induisent un fort vent d’incertitude et d’insécurité.
De toute évidence, un changement de supérieur, de nouvelles orientations non ou mal communiqués aux salariés affectent les conditions de travail. Un arrêt de travail, un désaccord, une réorganisation du travail sont autant de raisons pouvant également entraîner une détérioration des conditions de travail.
Les motifs du harcèlement sont nombreux. On l’exerce pour exclure, écarter, casser la résistance, assouvir un plaisir pervers, par ignorance, en raison de fausses croyances ou encore en vue d’extraire une plus-value*.
Qui sont les harceleurs ?
Outre les causes organisationnelles qui découlent des mauvaises pratiques et du style de gestion, le harcèlement a aussi une explication psychologique. En effet, on peut cerner divers profils psychologiques de harceleurs. Il s’agit du paranoïaque, du narcissique, du caractériel et de l’obsessionnel compulsif. Sans m’attarder à l’analyse psychologique approfondie de ces profils, qui fera l’objet d’un autre article, je mentionnerai ici que l’on observe chez l’un comme chez l’autre un écart quantifiable et mesurable entre le comportement normal ou adapté et le comportement pathologique ou asocial soit le déficit éthique, le réflexe de déresponsabilisation, la peur de l’incompétence, la peur viscérale du rejet et de l’abandon, l’insécurité, le besoin insatiable de tout contrôler, l’absence d’empathie, l’ignorance, le manque d’éducation, le complexe d’infériorité, le perfectionnisme à outrance, la logique binaire (tout ou rien, blanc ou noir, bon ou mauvais) et enfin, la rumination. Cette énumération, sans être exhaustive, donne tout de même un aperçu éclairant des caractéristiques et des comportements pathologiques observés chez les harceleurs.
Quelles sont les conséquences du harcèlement chez la victime ?
Le vécu des victimes de harcèlement psychologique est tragique. Lorsque l’on porte atteinte à ses conditions de travail, lorsqu’on l’isole et refuse de communiquer avec elle, lorsque l’on porte atteinte à sa dignité, lorsque l’on a recours envers elle à la violence verbale, physique ou sexuelle, la personne harcelée vit une grande détresse psychique. Elle est profondément blessée et atteinte dans son droit inaliénable à l’intégrité et à la dignité. Les conséquences sont encore plus désastreuses si la victime s’isole. Au début les symptômes seront diffus ; la personne se sentira nouée, tendue. Lorsqu’elle ne reçoit pas d’aide psychologique, sa santé mentale et physique se détériorera notablement. Elle se sentira surmenée en raison de l’apparition de troubles du sommeil, d’insomnies fréquentes, de perte d’appétit, d’amaigrissement. Elle perdra peu à peu tout intérêt pour son entourage, ses activités et son travail. Elle développera des phobies, des peurs ; s’inventera des scénarios catastrophiques imaginaires. Elle souffrira de dépression et, dans les cas les plus sévères, elle perdra contact avec la réalité et à la longue, sombrera dans des épisodes de délire paranoïaque. Malheureusement, la victime de harcèlement qui se replie ainsi sur elle-même en viendra à poser des gestes désespérés. Plusieurs y parviendront sans que personne n’ait rien décelé du drame humain qui se tramait derrière cette image, apparemment sans faille. Oui, le travail tue. Et si c’était vous…
*Employé qui démontre un savoir-faire et un savoir-être exceptionnels ou qui possède des compétences, des talents et des attributs hors du commun lesquels peuvent faire naître chez l’autre une profonde insécurité.
L’ampleur des coûts santé (6)
Si je m’y suis intéressée, c’est que le phénomène est préoccupant et en hausse constante. Le Canada occupe le 5è rang des pays industrialisés en matière de plaintes de harcèlement. Un fonctionnaire sur cinq se dit harcelé. C’est là la première cause d’invalidité au Québec. Je n’ai pas en mains de chiffres plus récents ; cependant, le nombre de réclamations à la CSST est passé de 530 à 994 entre 1990 et 1997. Le coût des indemnités est passé de 1,5 $ millions pour la même période à 5,1 $ millions. Pour l’entreprise qui doit verser des indemnités d’invalidité, les coûts de santé se chiffrent par des pertes de profit marquées ; une facture de 440 $ millions par année seulement au Québec.
La dimension matérielle du harcèlement pour l’entreprise, pour le salarié, pour la société.
Pour l’entreprise, il y a augmentation des journées de congé pour maladie, des frais juridiques, des frais de remplacement, des cotisations à la CSST, à l’assurance-chômage, à l’assurance-maladie. Il y a aussi l’augmentation des retraites prématurées et des heures supplémentaires tandis qu’il y a baisse de productivité, de motivation, du moral, effritement de la culture d’entreprise, dégradation de l’image de marque de l’entreprise.
Pour le salarié ou la victime qui démissionne ou se voit en congé d’invalidité en raison d’une situation de harcèlement, cela signifie une perte ou une baisse significative de revenus et donc de son niveau de vie pour un temps indéterminé, un changement d’emploi souvent moins bien rémunéré et des coûts de santé non couverts. Pour la société, cela signifie une augmentation des soins médicaux et hospitaliers, des cotisations à l’assurance emploi et à l’assistance sociale.
La dimension immatérielle du harcèlement pour la victime, les témoins et leur famille et l’ensemble des citoyens.
Pour la victime, le coût se mesure par l’atteinte à son droit à la dignité tandis que pour sa famille, les témoins, le coût humain se mesure par la détresse et l’impuissance vécues. Le coût social de la désolidarisation se mesure par l’effritement du lien. Le coût sociétal se mesure par la perte de sens du travail.
Des pistes d’action et de solution
Comment contrer le harcèlement…
en sortant du non-dit (parler à un thérapeute, un médecin, aux proches)
en se mobilisant dans l’action (trouver des alliés, dénoncer le harceleur, se documenter sur le sujet, écrire, méditer, faire de l’exercice)
en se solidarisant (sortir de l’isolement, avoir recours aux ressources du milieu : programme d’aide aux employés, syndicat, CLSC, groupes d’entraide, d’appartenance)
Cet article peut être reproduit en tout ou en partie à condition d’en mentionner la source. J’aborderai sous peu d’autres aspects du harcèlement.
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Johanne Bussières, Thérapeute en relation d’aide psychologique et Coach de Vie
NOTES:
1. Marie-France Hirigoyen, Le harcèlement moral dans la vie professionnelle p.368 Éd. POCKET
Quels sont les types de harcèlement ?
2. 3. 4. 5. idem pp. 93-102
6. Données tirées de l’atelier sur le harcèlement psychologique par Louise Brabant, dans le cadre du Programme de maîtrise en administration publique à l’automne 2004, à l’UQÀM..