Notre ministre du travail, Xavier Bertrand a-t-il entendu des voix ? La question peut, certes, paraître saugrenue tant notre république laïque et éclairée sait se préserver de pareilles superstitions qu’elle considère d’un autre âge. Et pourtant, l’affaire qui suit ne manque pas de nous interpeller quelque part comme dirait un psycho-philo-pédagogue de ma connaissance.
Dans une affaire que nous avons déjà évoquée à plusieurs reprises (article du 2 février 2011, rediffusé le 11 mars et le 17 août, puis article du 27 avril) une directrice d’agence dans l’Ouest, mais soyons maintenant plus précis, de La Rochelle, s’est brusquement, après quatorze années de très bons et loyaux services, et inopinément vue accusée d’un management féroce qui aurait, depuis des années nous dit-on, généré une indicible souffrance dans son équipe. Notons au passage que cette tortionnaire inattendue, plutôt connue jusqu’alors pour la douceur de vivre au travail qu’elle avait su instiller dans son agence, venait, quelques mois plus tôt de se faire élire au Comité d’établissement.
La direction tente donc de licencier Florence N., salariée protégée, en demandant auprès de la DIRRECTE (nouvelle appellation de l’inspection du travail) l’autorisation de la licencier, ce qui constitue la procédure normale. A l’issue d’une enquête fouillée (auditions des collaboratrices de l’agence, de l’intéressée, analyse de centaines de pièces et de dizaines de témoignages), la DIRRECTE refuse le licenciement et évoque même dans le compte-rendu de sa décision “une bonne entente dans l’agence“, une “absence de turn-over dans l’agence” et précise en synthèse qu’“aucun fait concret n’est mis en avant pour étayer les griefs faits à Florence N.“. Pas vraiment dupes, ni encore moins nés de la dernière pluie les enquêteurs ajoutent que “le lien entre la procédure et le mandat ne peut être écarté“. Voyez ce que je veux dire ?
La direction Adecco piquée au vif par ce camouflet se pourvoit en “recours gracieux” selon l’expression consacrée, c’est-à-dire demande à l’administration de reconsidérer le dossier et ses conclusions. Après complément d’enquête et analyse des nouveaux témoignages produits par les deux parties, la DIRRECTE confirme en tous points sa décision et précise même dans sa réponse que “les éléments apportés après-coup (ce qui n’est pas légal. NDLR) ne modifient pas l’appréciation du caractère non établi des faits reprochés à Mme Florence N.” et, résolument pas dupe, rappelle que “la concomitance entre la première demande et l’élection de Mme Florence N. aux élections professionnelles ne permet pas d’écarter le lien avec le mandat“.
La direction semble paniquer et décide de tenter “le recours hiérarchique” auprès du ministre du travail. C’est la procédure ultime mais classique de recours. Nouvelle audition de Florence N. pendant près de quatre heures, par l’administration de Villeurbanne cette fois, histoire de garantir une objectivité absolue et afin d’orienter la décision du ministre qui, bien sûr, ne mène pas personnellement d’enquête. Cet autre enquêteur, indépendant de l’administration de La Rochelle, après travail sur dossier et audition confirme dans son rapport au ministre l’absence de faits, une possible répression syndicale et par conséquent l’inopportunité d’un licenciement.
Il transmet ses conclusions au ministre ou, plus vraisemblablement, à ses services, en pleine période estivale et que croyez-vous qu’il advint ? En plein mois d’août, en moins de cinq jours, sans aucune contre-enquête et contre tous les avis de son administration, Xavier Bertrand prononce un avis favorable au licenciement.
D’où vient cette prompte décision contraire à l’avis de son administration et de ses agents ayant planché des dizaines d’heures sur l’affaire ? Comment a-t-il pu sans aucun contact avec qui que ce soit prendre en quelques jours une décision déniant des mois de travail et contraire à tous les rapports, aux deux décisions de la DIRRECTE et à la note de synthèse qui lui était destinée ?
D’où notre question initiale : Xavier Bertrand a-t-il entendu des voix ? Il ne reste guère que cette solution, bien insatisfaisante pour des esprits éclairés, nous en convenons, mais quoi d’autre ? D’où le ministre, peu suspect jusqu’à ce jour d’élans mystiques, aurait-il pu tirer son illumination ? Des voix célestes lui ont-elles soufflé des faits inconnus de la gent humaine et qu’il ne veut à aucun prix partager ?
On me susurre que, plus simplement, les voix en question pourraient bien n’être, beaucoup plus prosaïquement, que bien terrestres et que ce type de recours “est assez sensible aux pressions politiques”. Qu’en termes galants ces choses-là sont dites. Cela supposerait que l’un de nos dirigeants bénéficie d’excellentes relations avec le ministre ou même ait eu à échanger régulièrement avec lui. Peut-être même à travailler avec lui. On sait aussi qu’existent dans les allées du pouvoir des solidarités et fraternités parallèles qui, bien souvent, biaisent des décisions et prises de position en apparence irrationnelles pour le commun des mortel, le vulgum pecus…
Alors, que penser ? Voix célestes ou voix terrestres ? Chacun se fera sa propre opinion, c’est juste une question de prisme. De mauvais esprits précisent de PRISME… Vous savez comment sont les gens.
Quoiqu’il en soit et plus que jamais, loin d’être close l’affaire ne fait que commencer et un recours a été déposé qui ira jusqu’à son terme. Cela s’accompagnera, malheureusement pour la directrice d’agence et ses collaboratrices – victimes, elles-aussi, d’une telle situation -, mais il le faut, de nouvelles auditions, de confrontations pénibles et de longs mois de procédure, sans parler des remous médiatiques. Mais si la vérité est à ce prix…