En 2017, les français ont passé en moyenne 1 h 22
par jour sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Snapchat et autres
Linkedin), sachant que le temps passé par les nouvelles générations de
salariés est bien plus important, avec généralement l’utilisation de
plusieurs applications en fonction des besoins. Ainsi, les réseaux
sociaux sont utilisés sans véritable distinction durant ou en dehors du
temps de travail par l’intermédiaire ou non d’outils mis à disposition
de l’employeur. L’accès à ces publications variant en fonction des
paramétrages du compte, se pose donc la question de la possibilité pour
l’employeur de contrôler/utiliser le contenu mis en ligne par les
salariés sur leurs réseaux sociaux, comme nous le démontre cette récente
affaire jugée par la Cour de cassation.
Par un arrêt du 20 décembre 2017, la Chambre sociale de la Cour
de cassation se prononce pour la première fois sur les limites du
contrôle exercé par l’employeur sur les publications Facebook des
salariés, notamment au regard du principe de proportionnalité et du
respect de la vie privée et familiale.

En l’espèce, une salariée avait pris acte de la rupture de son
contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur, notamment pour
l’avoir contrainte à signer un contrat de travail avec une seconde
entreprise alors qu’elle était en état de choc après avoir été victime,
la veille, d’une tentative de vol armée sur son lieu de travail.

Elle saisit donc la juridiction prud’homale pour voir condamner
les deux sociétés à lui verser des indemnités au titre de cette rupture
produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse
pour la première, et de la nullité du contrat de travail pour la
seconde.

Pour assurer sa défense l’une des deux sociétés employeurs avait
cru bon de produire aux débats un procès-verbal de constat d’huissier
rapportant des informations extraites du compte Facebook de la salariée.
Au regard de la violation de sa vie privée, la salariée avait demandé
des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

Par un arrêt du 28 avril 2016, la Cour d’appel d’aix-en-Provence
confirmait la décision rendue en première instance, et, en outre,
condamnait la société ayant produit le constat d’huissier à des
dommages-intérêts pour violation de la vie privée de la salariée
considérant que les informations extraites du compte Facebook de la
salariée « étaient réservées aux personnes autorisées et l’employeur ne
pouvait y accéder sans porter une atteinte disproportionnée et déloyale à
la vie privée de la salariée ».

Saisie, la Cour de cassation vient juger que « les informations
extraites du compte Facebook de la salariée obtenues à partir du
téléphone portable d’un autre salarié, informations réservées aux
personnes autorisées » portaient une atteinte disproportionnée à la vie
privée de la salariée concernée.

Par cet arrêt la Cour de cassation limite l’étendue de contrôle
de l’employeur considérant que l’employeur ne peut contrôler l’activité
du salarié sur le compte Facebook dont l’accès est restreint à des
personnes autorisées dont il ne fait pas partie.

COMMENT UN COMPTE PEUT-IL ÊTRE JUGÉ PRIVÉ OU PUBLIC ?

La Cour de cassation invite à faire une distinction entre deux hypothèses.

Soit
le compte Facebook du salarié n’est pas restreint, il est donc
considéré comme étant « public » et il a donc la possibilité de se
prévaloir de son contenu.

Soit le compte Facebook du salarié
est restreint à un nombre de personnes autorisées, il est considéré
comme étant « privé », l’employeur n’a donc pas la possibilité de se
prévaloir du contenu du compte

Cette distinction avait déjà été retenue par les juges du fond. C’est ainsi qu’il avait été jugé que :

  • la production d’informations émanant du « mur » Facebook du salarié
    (CA Lyon, 22 nov. 2012, no 11/05140 ; CA Lyon, 24 mars 2014, no 13/03463
    ; CA d’Orléans, 28 févr. 2013, no 12/01717 ; CA Versailles, 4 oct. 2017
    no 15/03872) ou du « mur » d’un autre utilisateur sur lequel le salarié
    s’était exprimé (CA Besançon, 15 nov. 2011, no 10/02642) était
    recevable dès lors que le compte Facebook était librement accessible par
    l’employeur ;
  • lorsque le caractère public des informations produites aux débats
    n’était pas justifié, l’employeur ne pouvait pas s’en prévaloir car
    elles relevaient de la vie privée du salarié (CA Rouen, 15 nov. 2011, no
    11-01827 ; CA Paris, 3 déc. 2015, no 13/01716).
La 1ère Chambre civile de la Cour de cassation s’était
également prononcée sur la question de l’injure publique, excluant une
telle qualification pour les propos tenus par une salariée sur des
comptes MSN et Facebook accessibles à un nombre restreint de personnes
autorisées (Cass. civ. 1ère, 10 avr. 2013 no 11-19.530).

LA COUR DE CASSATION PROTÈGE LES INFORMATIONS ISSUES DES COMPTES « PRIVÉS »

Dans son arrêt, la Chambre sociale de la Cour de cassation
rappelle à raison que l’employeur est tenu au respect du principe de
proportionnalité (C. trav. art. L. 1121-1) et à l’obligation de loyauté
dans l’exécution du contrat de travail (C. trav. art. L. 1222-1), ce qui
induit des limites dans le contrôle de l’utilisation des réseaux
sociaux par les salariés.

C’est donc à juste titre que la
Cour d’appel avait valablement retenu que l’atteinte au droit à la vie
privée était disproportionnée dans la mesure où :

  • le paramétrage du compte induisait le caractère privé des informations « réservées aux personnes autorisées » ;
  • l’accès aux informations litigieuses n’était pas ouvert à l’employeur ;
  • l’employeur avait utilisé un outil mis à la disposition d’un autre salarié pour y avoir accès.
Habilement, l’employeur avait tenté en vain de faire valoir
que les informations litigieuses étaient présumées professionnelles dès
lors qu’elles avaient été recueillies au moyen d’un téléphone portable
professionnel d’un autre salarié de l’entreprise. L’employeur se fondait
sur la jurisprudence relative au contrôle de l’utilisation des outils
professionnels, et, plus particulièrement sur la présomption du
caractère professionnel des données stockées sur lesdits outils à défaut
d’identification contraire (notamment, Cass. soc., 15 déc. 2010, no
08-42.486).

La Cour de cassation n’a pas retenu, à juste titre, cet argument,
faisant valoir que l’employeur ne pouvait accéder librement aux
informations litigieuses sans porter une atteinte excessive et déloyale
au droit à la vie privée de la salariée dans la mesure où ces dernières
étaient « réservées aux personnes autorisées ».

Il est ainsi sanctionné l’atteinte au principe de loyauté qui
régit toutes relations de travail en application de l’article L. 1222-1
du Code du travail.

La Cour de cassation protège donc ici la salariée qui ne pouvait
avoir connaissance des informations stockées dans le téléphone d’un
autre salarié et alors que le contenu n’était accessible qu’à un nombre
restreint de personnes.

La protection du salarié est
renforcée, dès lors que le caractère privé du compte Facebook semble
suffire à faire présumer que les informations ont un caractère «
personnel ».

Afin de prévenir tout risque de difficulté, il ne peut donc qu’être conseillé :

  • d’activer les paramètres de confidentialité de son compte Facebook afin qu’il ne soit pas accessible à l’employeur ;
  • de limiter les personnes ayant accès au compte Facebook ;
  • d’éviter, autant que possible, de mentionner des informations liées à l’activité professionnelle.
Auteur : Maitre Jonathan Cadot , Avocat Associé, Lepany et Assciés, Maitre Marie Bourgault , Avocat, Lepany et Associés

Cass. soc., 20 déc. 2017, no 16-19.609 D
 Source : WK-CE

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