en charge de l’Économie, la loi Pacte adoptée au Parlement n’est pas à
la hauteur des enjeux et rate ses objectifs.
Quelle est la position de la CFE-CGC sur la loi
Pacte (plan d’action pour la croissance et la transformation des
entreprises) votée au Parlement le mois dernier ?
Pour nous, cette loi rate ses objectifs. Elle ne contient pas de mesures
structurelles susceptibles de nous faire sortir de la crise dite des «
gilets jaunes ». Elle ne va pas non plus faire évoluer nos entreprises
dans le sens d’une meilleure prise en compte du long terme et d’une
augmentation des investissements. Elle aligne les mesurettes
d’adaptation dont un certain nombre, certes, en faveur des PME. Mais
elle ne modifie pas le rapport de force qui existe entre celles-ci et
les grandes entreprises, ce qu’une loi de gouvernance responsable aurait
pu faire. Pour la CFE-CGC, c’est donc une occasion manquée, d’autant
plus décevante que nous avions beaucoup travaillé en amont sur le
contenu avec de multiples contributions (cf rapport Senard-Notat etc.).
“La privatisation d’Aéroports de Paris est une aberration »
Prenez la privatisation d’Aéroports de Paris. Outre qu’elle ne figurait
pas dans le programme électoral d’Emmanuel Macron, c’est une aberration
de privatiser une infrastructure stratégique en situation de monopole
comme ADP. On est là dans le domaine de la vente des bijoux de famille
pour essayer de compenser un déficit qu’on laisse par ailleurs filer, à
l’image des 10 milliards d’euros de mesures annoncées fin 2018 pour 85 %
non financées. Ce fameux fonds pour l’innovation que la privatisation
d’ADP était censée abonder constitue une escroquerie. Tout le monde a
cru qu’il serait doté de 10 milliards d’euros. Eh non ! Ce sont 10
milliards d’actifs qui, placés à 2,5 %, vont produire 250 millions
d’euros par an pour l’innovation de rupture… Il vaudrait mieux garder
ADP et ses 170 millions de dividendes versés annuellement.
Quant à la baisse du forfait social sur l’actionnariat salarié, comment
va-t-elle être affectée à un développement de l’actionnerait salarié ?
Il n’y a aucune réponse dans la loi. Il s’agit là, typiquement, d’une
mesure qui part d’une bonne intention de départ mais qui est prise sans
qu’il y ait d’affectation à un objectif démontré de résultats.
Dans
une récente tribune publiée par L’Usine nouvelle, vous demandiez au
gouvernement de prendre « des mesures structurelles fortes permettant
d’orienter la gouvernance des grandes entreprises vers les enjeux de
long terme ». Pour quelles raisons ?
Notre analyse du tissu économique est qu’il faut différencier les
petites entreprises des très grosses. Pour que les petites souffrent un
peu moins de la pression, il faut que les grandes deviennent plus
responsables et soient moins guidées par un comportement court-termiste.
A l’heure actuelle, les grands groupes publient des « guidances »
financières, des perspectives de rentabilité à trois ou cinq ans, le but
de la gestion devenant ensuite de tenir ces objectifs et si possible de
faire mieux, quels que soient les aléas. On rentre donc dans des champs
où les décisions ne sont plus prises sur des critères de stratégie
économique mais uniquement sur le respect d’une « guidance » financière.
Et les conseils d’administration calent l’intéressement des dirigeants
sur ces critères financiers, encourageant ainsi cette pratique.
Comment réorienter la stratégie des grandes entreprises vers une meilleure prise en compte du long terme ?
Pour nous, la réponse la plus immédiate aurait été de définir une «
raison d’être » des entreprises de manière obligatoire et de rendre plus
engageante la prise en compte de critère sociaux, environnementaux et
responsables. En la matière, les éléments de formulation qui figurent
dans la loi Pacte sont de nature cosmétique. La « raison d’être » a été
introduite dans le Code civil mais elle n’y est que de manière
facultative.
“Ce n’est pas la loi Pacte qui va nous rapprocher du plein emploi en 2025 ! »
C’est le fait de dire pourquoi on conduit une activité et quels sont les
moyens qu’on se donne pour y parvenir. Par exemple, je suis dans le
transport aérien, mon job est certes de fabriquer des avions ou de les
faire voler, mais aussi de les rendre le moins polluant possible pour
répondre aux exigences de développement durable. La « raison d’être »,
c’est l’objet social avec, en plus, une prise en compte d’éléments
externes indispensables à la poursuite pérenne de l’activité.
Y a-t-il néanmoins des mesures qui trouvent grâce à vos yeux ?
Un article important est celui qui impose le déport des votes des
représentants de la direction dans les fonds communs de placement
d’entreprise (FCPE) d’actionnariat salarié. Dans ces FCPE, il peut y
avoir autant de représentants de la direction que des actionnaires
salariés. Avant la loi, quand venaient à l’ordre du jour les votes des
résolutions d’AG, les représentants de la direction prenaient part au
scrutin, ce qui induisait de leur part un conflit d’intérêt flagrant. La
loi Pacte acte le fait qu’ils ne puissent plus voter dans ces fonds.
La suppression d’un certain nombre de seuils liés au nombre de salariés est-elle une bonne chose ?
Cela fait partie des mesures destinées à faire respirer les petites
sociétés. Mais je pense que, plutôt que la suppression de certains
seuils, celles-ci préféreraient avoir moins de pression de la part des
grandes entreprises. Cela ne peut venir qu’avec une gouvernance plus
responsable. Sinon, sur l’épargne retraite, il y a des mesures
d’harmonisation qui vont dans le bon sens. Cela dit, nous restons
vigilants sur la façon dont elles vont s’articuler avec la réforme des
retraites. Cherche-t-on à développer l’épargne retraite uniquement comme
contrepartie à une baisse du rendement du système par répartition ? A
l’échelle d’une loi qui s’appelle « Croissance et transformation des
entreprises », ce ne sont que des mesurettes. Ce n’est pas la loi Pacte
qui va nous rapprocher du plein emploi en 2025 !
Vigilance sur les soldes de tout compte