Surcharge mentale, fatigue chronique, manque de temps de récupération… Les conséquences de l’hyperconnexion sont nombreuses mais encore trop souvent sous-estimées. Alors que 30 % des salariés sont hyperconnectés, selon l’étude « Hyperconnexion : les dessous du mail » menée par Cog’X et Lecko (1), quelles bonnes pratiques mettre en place pour trouver un meilleur équilibre ? Que peuvent notamment faire les managers pour eux-mêmes et pour leurs équipes ? Comment réussir à déconnecter pendant les vacances d’été ? Découvrez les conseils de Paul Brazzolotto, docteur en psychologie cognitive chez Cog’X.
En quoi l’hyperconnexion est un phénomène inquiétant ? Pourquoi s’en soucier individuellement, mais aussi collectivement au niveau de l’entreprise ?
Quand on parle d’hyperconnexion, on se réfère à plusieurs types de comportements qui ont chacun leurs problématiques individuelles et collectives. Un des aspects de l’hyperconnexion est un excès d’utilisation des outils de communication pendant la journée, avec beaucoup de messages envoyés ou reçus. Cela peut-être un problème individuel car cela génère de multiples interruptions et du multitâche, et on sait que le cerveau humain est très mauvais face à ces modes de travail : ils nous rendent moins efficaces et peuvent générer de la fatigue. Ils prennent aussi un temps précieux qui pourrait être alloué à d’autres choses, comme passer du temps avec ses collègues, apprendre, innover, etc. Cela devient ainsi un enjeu pour les entreprises car une entreprise dans laquelle les salariés sont isolés, ne peuvent pas monter en compétences ou n’innovent pas, c’est une entreprise qui ne progresse pas.
L’autre aspect de l’hyperconnexion, et c’est le point de départ de notre étude, c’est un excès de connexion en dehors des heures de travail, qui réduit voire supprime les temps de pauses pendant la journée et les moments de récupération les soirs, week-end ou congés. La conséquence individuelle est forte car cela empêche le corps de regénérer les ressources dépensées au travail, et des études montrent des corrélations entre travail en débordement et apparition de maladies cardio-vasculaire ou syndrome d’épuisement professionnel. Un manque de récupération va aussi réduire la motivation à passer du temps avec ses amis ou sa famille, avec les conséquences personnelles qu’on peut imaginer. Ce manque de récupération n’est pas anodin pour les entreprises non plus, car un salarié fatigué est un salarié qui achève moins de travail, qui risque davantage de partir en arrêt maladie, de se désengager du travail et donc de quitter l’entreprise, créant un turn over important.
Quel(s) rôle(s) pour les managers afin de réduire l’hyperconnexion dans leur équipe ? Avez-vous de bonnes pratiques à partager ?
Selon nous, le manager joue un rôle de pilote dans l’équipe. Il n’a pas la charge de tous les maux, ne peut pas non plus tous les régler, mais il a la possibilité de réunir son équipe et d’organiser des transformations. Il peut, par exemple, proposer des règles d’utilisation des outils de communication dans l’équipe, en fonction des besoins de chacun mais aussi des contraintes liées à l’activité. Certaines sont très simples : jamais d’urgence par mail, ce qui permet de consulter sa messagerie moins souvent ; pas de mails en dehors des heures de travail, pour éviter d’être dérangé quand on ne travaille pas. Cela passe forcément aussi par un devoir d’exemplarité, car les collaborateurs vont de manière naturelle imiter le comportement du manager, mais aussi de combattre certaines règles implicites qui contraignent les comportements (par exemple, répondre très rapidement à un mail reçu serait bien vu dans l’équipe, la mise en copie systématique ou encore si le travail en débordement est valorisé). Le manager a aussi le devoir de répartir la charge de travail dans l’équipe. Il doit donc veiller à détecter les pics de charge chez les collaborateurs qui sont forcés à déborder pour leur permettre de profiter de leurs temps hors travail.
Pour beaucoup, les vacances d’été approchent à grands pas… Pourquoi déconnecter est essentiel, même si ce n’est pas toujours facile ?
Les congés sont un moment important car ils permettent au corps de récupérer de la fatigue et de supprimer le besoin de récupération accumulé (en l‘absence de moment de récupération régulier les soirs et week-end). Il est donc primordial de sacraliser ces périodes-là, en s’éloignant au maximum du travail. Un des phénomènes qui pousse au contraire à se connecter à sa messagerie pendant les congés est le « Fear of missing out » (la peur de manquer quelque chose) qui nous pousse à nous maintenir à jour des nouveautés au travail.
Là encore, auriez-vous de bonnes pratiques à partager pour déconnecter plus facilement ?
Oui, en voici trois :
- Répartir ses responsabilités et les dossiers en cours avant de partir en congés. Cela permet de partir tout en sachant que quelqu’un est là en cas de problème.
- Ne pas prendre son téléphone professionnel ou supprimer les applications pros de son téléphone perso. Cela permet de ne pas être tenté en voyant l’icône sur son téléphone ou dans les petits moments de creux.
- Si l’angoisse est trop intense face à l’éloignement de son travail, on peut toutefois prévoir des petits moments de travail pendant ses congés, pour se rassurer. Mais il faut que ces moments soient prévus (on va regarder ses messageries tel jour à telle heure) et contraints (on regarde uniquement ses messageries, on ne va se lancer dans une tâche de 2 heures).
(1) Leurs équipes de data scientistes et de docteur·e·s en sciences cognitives ont étudié les données mail et agenda de plus de 16000 salariés sur 3 mois en 2022 pour comprendre l’impact du digital sur les ressources cognitives et sociales au travail.
Source : Courrier Cadres