Voilà un sujet bien sensible que nous avons déjà abordé à plusieurs reprises – le moteur de recherche de ce site vous permettra de retrouver les principaux articles – et sur lequel pouvoirs publics, analystes et politiques semblent vouloir se pencher un peu plus. Attendons les faits et les actes mais certaines prises de position nous paraissent plutôt encourageantes. Le rachat massif d’actions s’apparente à un pillage et aboutit à un affaiblissement de l’entreprise au profit de quelques gros actionnaires et il est salutaire que l’on en parle enfin. (NDLA)
Modalités, finalités, critiques : tout savoir sur les rachats d’actions, la technique en vogue pour enrichir les actionnaires.
Avec le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et ses dizaines de milliards d’euros « donnés aux entreprises sans garantie, financés en immense majorité par des impôts sur la classe moyenne » (*), les rachats d’actions sont régulièrement dénoncés dans les médias par François Hommeril, président de la CFE-CGC. « On devrait couper les subventions publiques aux entreprises qui font du rachat d’actions. Ce devrait être interdit », estime-t-il (**). Pour comprendre l’ire du responsable confédéral, il faut décortiquer cette méthode boursière.
UNE PRATIQUE EN VOGUE DANS LE CAC 40
En 2022, les entreprises du CAC 40 ont versé à leurs actionnaires plus de 80 milliards d’euros : 56 sous forme de dividendes et 24 via des programmes de rachats d’actions. En 2023, BNP Paribas a par exemple annoncé un programme de rachat d’actions de 5 milliards d’euros, qui a débuté en avril. Air liquide, Carrefour, LVMH, Pernod Ricard, Sanofi, Société Générale, Stellantis ou encore Total : nombre de géants de la Bourse de Paris ont pratiqué le rachat d’actions en 2022. À plus petite échelle, une société comme le Groupe SEB (8 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 316 millions d’euros de bénéfices en 2022) a proposé à ses actionnaires, lors de l’assemblée générale mixte du 17 mai 2023, de mettre en œuvre un programme de rachat d’actions de 1,3 milliard d’euros sur 18 mois.
DE QUOI S’AGIT-IL ?
L’opération consiste pour une entreprise à racheter ses propres actions pour les annuler ensuite. « Cela améliore mécaniquement certains ratios comme le bénéfice par action (BPA), le rendement (dividende versé sur capital) ou encore la trésorerie (cash-flow) par action. Les actionnaires sont ainsi mécaniquement favorisés par une stratégie de rachat d’actions », explique une analyse du Particulier. Le fait de réduire le nombre de titres en circulation « a pour effet d’augmenter le bénéfice par action et, par ricochet, le cours de Bourse des actions restantes », complète le journaliste du Figaro Hervé Rousseau. Le but principal est donc de gratifier les actionnaires en complément de ce qu’ils touchent en dividende.
UNE PROCÉDURE ENCADRÉE
En principe, la souscription par une société de ses propres actions ou de ses parts sociales est interdite. Néanmoins, le rachat de ses propres titres est autorisé pour les sociétés par actions (SA et SAS) sous certaines conditions et selon certaines modalités prévues par le Code de commerce :
- pour réduire le capital social ;
- pour conserver les titres et, dans un délai d’un an, les attribuer aux salariés ;
- pour les conserver et, dans un délai de deux ans, les remettre en paiement ou en échange dans le cadre d’une opération de croissance externe, de fusion, de scission ou d’apport ;
- pour les conserver et, dans un délai de cinq ans, les attribuer aux actionnaires dans une procédure de mise en vente.
De telles annulations sont limitées à 10 % du capital de la société par périodes de 24 mois (5 % dans le cadre d’une opération externe).
ÉVOLUTION DE LA RÉGLEMENTATION
C’est en juillet 1998 que le rachat par les sociétés de leurs propres titres de capital a été libéralisé en France, en s’inspirant fortement des propositions du rapport Esambert, commandité par la Commission des opérations de bourse (l’ancêtre de l’Autorité des marchés financiers) et publié six mois auparavant. Avant cette date, la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales prohibait l’achat par une entreprise de ses propres actions. « Ce principe général d’interdiction était assorti de quelques dérogations qui étaient toutefois limitées et mal adaptées à une gestion dynamique du capital des sociétés », déplorait le rapport dans son lobbying de place.
PRESSION DES INVESTISSEURS
Qu’attendaient les entreprises cotées – et le marché – de cet assouplissement ? Tout simplement « un moyen privilégié pour rendre de la valeur aux actionnaires », comme le titrait BNP Paribas dans une étude de 2019. La moitié des sociétés interrogées par la banque plébiscitaient alors des solutions mixtes intégrant les rachats d’actions et les dividendes pour « rendre de la valeur » aux actionnaires. La majorité d’entre elles disaient subir la pression des investisseurs en faveur de rachats d’actions, à commencer par les hedge funds et les mutual funds anglo-saxons, suivis des compagnies d’assurance et des fonds souverains.
L’étude pointait aussi que les rachats d’actions constituaient « une demande quasi-systématique des investisseurs activistes ». Résultat, la part des rachats d’actions dans le mix versé aux actionnaires ne cesse de grimper dans le monde : en 2012, elle en représentait un tiers, puis la moitié en 2022, selon le gérant d’actifs Janus Henderson.
DU CLASSIQUE EN AMÉRIQUE
De longue date, la souplesse du mécanisme a fait du rachat d’actions une pratique capitalistique courante chez l’Oncle Sam, notamment comme moyen de protection contre les prises de contrôle inamicales (en remédiant à la sous-évaluation de ses titres et en renforçant le contrôle de l’actionnariat). On a ainsi assisté à une vague de rachats d’actions aux États-Unis au lendemain du krach boursier d’octobre 1987, dont le but était de faire remonter les cours. En 1996, les 1 472 opérations de ce type répertoriées dans le pays représentaient 176 milliards de dollars. En 2022, les rachats d’actions des sociétés du S&P 500 (l’indice actions phare de Wall Street) ont avoisiné les 1 000 milliards de dollars, dont 89 pour le seul Apple…
UN MÉCANISME CRITIQUABLE
Sur le fond, les rachats d’actions posent un problème de partage de la valeur, puisqu’en cherchant tous les moyens possibles d’enrichir les actionnaires, on réduit la part de gâteau des salariés. « Racheter ses propres actions revient aussi à diminuer les sommes disponibles pour investir dans la croissance et l’innovation de l’entreprise. D’où l’idée que cela se fait au détriment de la croissance, de la consommation et de l’emploi », analyse le journaliste Nicolas Gallant sur capital.fr. « Si l’actionnaire est avantagé grâce à l’aspect relutif des opérations de rachat d’actions, celles-ci peuvent aussi traduire un manque de perspectives et s’opposer à une hausse de la valorisation sur le long terme », complète encore le Particulier.
LA PRISE DE CONSCIENCE DES POLITIQUES
Aux États-Unis, le président Joe Biden veut renforcer la fiscalité qui avait été adoucie par son prédécesseur Donald Trump. Il a prévu de faire passer la taxation des share buybacks de 1 % à 4 %.
En France, lors de son intervention sur TF1 et France 2 en mars dernier, Emmanuel Macron a dénoncé le « cynisme de certaines grandes entreprises », mentionnant « leurs revenus tellement exceptionnels qu’elles en arrivent à utiliser cet argent pour racheter leurs propres actions ». Le président de la République a indiqué qu’il allait « demander au gouvernement de travailler à une contribution exceptionnelle pour que, quand des entreprises rachètent leurs propres actions, leurs travailleurs puissent en profiter ».
Source : site confédéral CFE-CGC