Beaucoup de collaborateurs se sentent fatigués physiquement et moralement éprouvés, après les crises successives (sanitaires, géopolitiques, économiques). Télétravail, perte de lien social, intensification des rythmes : ces bouleversements ne sont pas sans conséquences. Face à cette situation, bienveillance, adaptation et prévention s’imposent comme des solutions clés pour les managers et les entreprises.

Pour les entreprises, les enjeux sont grands. « La plainte liée à la fatigue est à aborder avec beaucoup d’attention et de vigilance. Elle peut se traduire par une importante démotivation, par une réduction de la productivité du salarié concerné, par une baisse de son engagement, et aussi, souvent, par son départ, ou par un burn-out », indique Philippe Zawieja, psychosociologue, essayiste et chercheur français en santé au travail, auteur du livre Les rescapés du burn-out (Les arènes). La fatigue ressentie actuellement par les salariés est générale : elle est à la fois physique et mentale, et il est difficile de dissocier les deux. Comment la repérer chez un collaborateur ? Selon le chercheur, l’état de « fatigue générale » se manifeste par de la démotivation, mais surtout, par des modifications de comportement.

« C’est ce qui doit alerter les managers : la personne agit d’une façon différente de d’habitude. Elle se montre irritable, tendue, pessimiste. Elle s’en prend (moralement, voire physiquement) à ses collègues ou à ses clients. Elle commet de plus en plus de fautes d’inattention et d’erreurs (rendez-vous manqués, réunions mal préparées, non-respect des délais fixés…) », explique-t-il. La fatigue est aussi physique et se traduit par un sommeil perturbé, des migraines, ou encore des troubles musculo-squelettiques (TMS).
Pour Philippe Zawieja, tous ces signaux sont à appréhender avec sérieux, car la « fatigue véritable » n’est pas toujours exprimée par les mots : « Quelqu’un qui est vraiment fatigué ne le dit pas forcément, et aura même tendance à se mettre en retrait ». Pour les managers et les RH, le défi dans ce contexte est de faire preuve d’écoute et de bienveillance vis-à-vis du salarié qui se déclare fatigué, ou qui change de comportement. « Il faut lutter contre ses biais. Penser que le collaborateur est fainéant et paresseux n’amènera pas grand chose. Il faut avoir une discussion fouillée avec lui, dans la mesure où cela pourra conduire à interroger l’organisation du travail et le management« , explique-t-il. Le travail à distance ne facilite pas la communication, mais selon lui, il est possible d’organiser des feed-backs réguliers, notamment lors de temps d’échange informels en visio : « Demander à l’autre comment il va peut paraître comme une question insipide, mais cela peut être essentiel pour percevoir un certain nombre de signaux, plus ou moins faibles ».

Une charge et un environnement de travail adaptés

Comment prévenir la fatigue au travail, en amont ? Sur le plan professionnel, Philippe Zawieja recommande de s’attaquer d’abord à la question de la charge de travail. « Elle doit être réaliste et adaptée à la personne, plutôt qu’à une fiche de poste théorique. Tous les collaborateurs n’ont pas le même tonus en fonction de leur âge, de leur état de santé, de leur situation familiale. Il faut donc adapter la charge au cas par cas« , indique-t-il. Le chercheur conseille aussi de se pencher sur l’environnement physique de travail : « il ne doit pas être lui-même fatiguant, en raison du bruit, de l’éclairage, de l’organisation de l’espace de travail (open space, bureau fermé), ou encore de la température ambiante ».

Concernant la fatigue physique, l’étude à laquelle Philippe Zawieja a participé au sein du réseau Global-Watch, recommande aussi d’agir pour résoudre les problématiques liées au contexte « extraprofessionnel ». Certains salariés sont en effet susceptibles de travailler d’une façon excessive, quitte à se coucher tard. Parmi les pistes d’action listées : l’adaptation des horaires de travail, ou le séquençage des tâches au « chronotype » des travailleurs ; la fermeture des locaux à partir d’une certaine heure le soir ; l’adoption d’une politique de « conciliation travail-famille » et favorable à la déconnexion ; et l’orientation vers des services d’aide à l’amélioration des habitudes de vie ou à la réduction des addictions.

« Plus globalement, il faut se lancer en toute bonne foi dans les campagnes de prévention de la fatigue et de la souffrance au travail. Sur le plan primaire, il s’agit d’éliminer toutes les sources de fatigue potentielle (les surcharges de travail et les types de management néfastes). Sur le plan secondaire, l’idée est d’agir sur les congés payés, ou sur des actions facilitatrices, comme la mise à disposition de services de conciergerie. Tout ce qui relève de la facilitation de la vie privée du salarié est le bienvenu », explique Philippe Zawieja.

La bienveillance, une arme contre la fatigue au travail

Reste la qualité de l’ambiance générale de travail. « L’environnement social doit être le moins stressant possible. La qualité des relations interpersonnelles ainsi que la liberté perçue jouent un rôle majeur sur la fatigue. Par exemple, un environnement caractérisé par du harcèlement, une faible perception d’autonomie, une forte demande émotionnelle ou l’insécurité de l’emploi peut exacerber la fatigue mentale », observe Philippe Zawieja. Selon lui, « tout passe par un bon dialogue social, où les choses peuvent être dites sans craintes, et par un management de qualité. Ceux qui encadrent des équipes doivent être capables de faire preuve de reconnaissance, de bienveillance et d’écoute. » Les RH gagneraient, dans ce sens, à développer les offres de formation en la matière, et à évaluer davantage (et plus régulièrement) les « qualités managériales des cadres ».

Pour Philippe Rodet, médecin urgentiste de formation et auteur du livre La bienveillance au travail (Eyrolles), la lutte contre la fatigue générale ressentie par les salariés passe surtout par un management réellement bienveillant. « La charge de travail joue, évidemment, mais la fatigue qui nous intéresse est surtout morale. En cette période de quiet quitting et de grande démission, la bienveillance est la clé : elle réduit le stress et augmente l’envie du salarié. Les managers ont donc tout intérêt à se montrer attentionnés envers leurs collaborateurs », estime-t-il.  Le médecin urgentiste recommande enfin de s’inspirer des réseaux de « bienveilleurs » mis en place dans certaines entreprises. « Des collaborateurs, à tous niveaux hiérarchiques sont sélectionnés et formés pour identifier les signes avant-coureurs de détresse psychologique, de burn-out, de brown-out, de bore-out, de dépression. L’idée, c’est finalement de faire attention aux autres », conclut-il.

Source : Courrier cadres

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