Voici une analyse particulièrement pertinente du CNLE qui prouve l’insuffisance et les carences d’une politique centrée sur l’emploi dans le cadre de la lutte contre la pauvreté. En effet, cet organisme démontre ici clairement que la guerre des chiffres, les algorithmes tout comme les pieuses intentions et belles déclarations n’agissent aucunement sur la paupérisation croissante de la population. On déplorera juste la pudeur de nos analystes sur certains sujets… (NDLR)

Lettre d’information AEF :

Pour sortir de la pauvreté, les “effets limités” d’une politique centrée sur l’emploi (avis du CNLE)

Le CNLE (Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale) publie, mardi 3 décembre 2024, son avis sur le Plan budgétaire et structurel à moyen terme de la France pour 2025-2029 qui a été transmis à la Commission européenne le 31 octobre 2024. Le Conseil considère que les hypothèses macroéconomiques sont “trop optimistes que ce soit en termes de croissance ou d’emploi”. En outre, le plan présenté “surestime les effets de la baisse du chômage sur la pauvreté”. Le CNLE questionne, aussi, les modalités de calcul et le montant de la prime d’activité.

“Le sentiment éprouvé par le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale est celui d’une inadéquation entre le Plan budgétaire et structurel à moyen terme du gouvernement français et la réalité de la situation sociale du pays”, résume le CNLE, dans un avis coordonné par Muriel Pucci et publié mardi 3 décembre 2024, c’est-à-dire avant la chute du gouvernement de Michel Barnier.

“un cadrage macroéconomique optimiste”

Le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté, qui est placé auprès du Premier ministre, commente le plan 2025-2029 transmis par l’exécutif français à la Commission européenne le 31 octobre 2024. Dans ce document, le gouvernement présente différentes réformes et en particulier un axe consacré à “atteindre le plein-emploi à travers le renforcement des compétences et le dialogue social”. Via cette démarche, la France sollicite une extension de la période d’ajustement budgétaire de quatre à sept ans, afin de lisser l’effort budgétaire.

Le CNLE regrette, dans son avis, un “cadrage macroéconomique optimiste”. Le plan prévoit ainsi une croissance de 1,1 % pour l’année 2025, un déficit public de l’ordre de 5 % et un marché du travail qui devrait continuer à se redresser. “Au regard des prévisions macroéconomiques réalisées par d’autres instituts indépendants, ces prévisions apparaissent pour le moins optimistes”, dénonce le Conseil.

“répercussions incertaines sur la pauvreté”

Quand bien même ces prévisions sur le chômage seraient avérées, “l’expérience récente montre que les répercussions en termes de baisse de la pauvreté sont incertaines”, poursuit le CNLE. Entre 2015 et 2021, alors que le taux de chômage a baissé de 2,4 points, les taux de pauvreté monétaire et de privations matérielles et sociales augmentaient et la part des personnes se considérant comme pauvres est passé de 12 % à 18 %.

Le Conseil identifie trois principales raisons pour lesquelles la baisse du chômage ne s’est pas traduite par une baisse de la pauvreté. “La première tient aux répercussions différenciées des créations d’emplois selon le niveau de vie”, remarque-t-il. Le niveau de vie des ménages les plus modestes a moins progressé que le seuil de pauvreté monétaire, égal à 60 % du niveau de vie médian, dont le pouvoir d’achat a augmenté de 66 euros par unité de consommation sur la période.

Dégradation pour les inactifs

La deuxième explication renvoie à la “dégradation de la situation des inactifs”, en particulier des retraités et des personnes inactives pour cause d’invalidité dont le taux de pauvreté monétaire aurait augmenté même si le seuil de pauvreté était resté constant (en termes de pouvoir d’achat). Ainsi, entre 2015 et 2021, le taux de pauvreté monétaire des retraités est passé de 7,3 % à 10,9 % et celui des inactifs pour cause d’invalidité de 27 % à 38 %. La part des inactifs pour raisons de santé se considérant comme pauvres est passée de 33 % en moyenne sur la période 2015-2017 à 48 % sur la période 2018-2021.

Enfin, la dernière explication “concerne les actifs eux-mêmes”, précise l’avis. Sur la période, le taux moyen de pauvreté monétaire des personnes en emploi a baissé de 0,4 point seulement tandis que leur taux de privations matérielles et sociales augmentait de 0,4 point et leur taux de sentiment de pauvreté de 6 points. “Cela s’explique en partie par le fait que de nombreux emplois créés n’offraient pas les conditions d’une amélioration des conditions de vie, que ce soient les emplois en apprentissage ou ceux sous le statut de microentrepreneur”, remarque le CNLE.

Prime d’activité : “remettre en question l’efficacité du calcul”

En termes de catégorie socioprofessionnelle, il note que sur la période, le risque de pauvreté des employés et des ouvriers a augmenté selon les trois indicateurs (pauvreté monétaire, pauvreté en termes de conditions de vie, pauvreté subjective). Pourtant, la fonction de la prime d’activité est justement de lutter contre la pauvreté des personnes qui travaillent. “Ces résultats amènent à remettre en question l’efficacité des modalités de calcul actuel de cette prestation dont le montant, pour un travailleur pauvre, dépend de manière complexe à la fois de la composition familiale et de la nature des revenus du conjoint et pour laquelle le non-recours demeure important”, précise le rapport.

Si les créations d’emploi ne suffisent pas à réduire la pauvreté, le CNLE alerte en revanche sur le rôle de la perte d’un emploi dans l’entrée dans la pauvreté. “On ne peut que craindre que le ralentissement de la conjoncture, la fin des aides exceptionnelles et à la vague de licenciement en cours entraînent une hausse de la pauvreté des personnes d’âge actif”, s’inquiète-t-il.

À partir de ces observations, le Conseil préconise d’agir dans deux directions. D’une part, pour “améliorer les revenus et les conditions de vie des inactifs” et en particulier des retraités et des personnes ne pouvant travailler pour des raisons de santé. D’autre part, pour “promouvoir la création d’emplois de qualité à même d’assurer des conditions de vie décentes aux travailleurs”.

France travail : quels financements ?

Le Conseil souligne, par ailleurs, que les réformes en cours relatives à la loi “plein-emploi” ou à l’assurance chômage “témoignent d’un état d’esprit que les personnes candidates à l’insertion ressentent comme marquées par la discrimination”. D’un côté, les emplois et occasions de formation pour les personnes concernées par la pauvreté et les obstacles à l’insertion sociale et professionnelle sont “souvent d’une qualité insuffisante”, au regard des obstacles à l’insertion sociale et professionnelle qu’elles rencontrent. De l’autre, “ces personnes se voient reprocher une insuffisante action de recherche d’emploi, indépendamment des freins pourtant identifiés, notamment en matière de santé”.

Le CNLE constate que, depuis l’annonce des réformes de France Travail, et contrairement aux recommandations de la Cour des comptes (en 2022) à propos de l’insertion professionnelle des personnes percevant le RSA, “les financements prévus ne sont pas comptabilisés dans les engagements budgétaires”. Au contraire, les crédits du ministère du Travail ont été réduits.

“Dans ces conditions, les observateurs et observatrices – notamment ceux qui suivent la mise en œuvre de France Travail – sont extrêmement inquiets de la future capacité [de l’opérateur] de tenir les objectifs exigeants de l’insertion dans l’emploi économique des allocataires”, écrit-il dans l’avis.

Crainte d’un recours aux algorithmes

Le Conseil redoute que, “faute de personnel, l’essentiel des réformes de France Travail soit mis en œuvre par l’intermédiaire de voie algorithmique, au moment où […] des associations ont mis en cause devant le Conseil d’État des décisions prises par les organismes sociaux sur la base d’algorithmes”.

Le CNLE dénonce, dans ce cadre, un “climat d’incertitude en lien avec le manque d’information sur les sanctions légales” pour les allocataires du RSA et avec les disparités entre départements. L’analyse des conséquences de ces sanctions sur l’insertion professionnelle dans des emplois qui permettent de sortir durablement de la pauvreté “reste également insuffisante”. “Si les évaluations partielles des expérimentations de l’accompagnement rénové des allocataires du RSA semblent indiquer une amélioration du taux de retour à l’emploi, rien ne permet de faire la part du rôle joué par les sanctions”, nuance le rapport.

Source : AEF Info

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